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Channel: Saint-Pierre-des-Corps, les épines fortes » Nicolas Aulagnier
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Des ateliers d’artiste, à 1 euro le mètre carré

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L’accès ne paie pas de mine et l’environnement n’est pas des plus glamours. Comment imaginer, en se promenant dans cette zone d’activité sans charme de Saint-Pierre-des-Corps, que se cache ici la plus importante friche artistique de l’agglomération tourangelle ? Clôturé par une grille à digicode, l’endroit se résume, de l’extérieur, à un alignement de petits bâtiments industriels qu’on croirait laissés à l’abandon. Morcelé en ateliers au fil des ans, l’ensemble fait 6.800 m2en tout et accueille aujourd’hui une cinquantaine de peintres, sculpteurs, plasticiens, comédiens et autres artisans d’art. L’endroit porte le nom du quartier où il est situé : les ateliers de la Morinerie. Sa particularité, outre sa taille, est d’offrir des conditions inespérées à ceux qui ont signé un bail ici : le mètre carré se loue 1 euro par mois. Une aubaine quand on est habitué à manger de la vache enragée, ce qui est le lot de nombreuses professions artistiques.

©Helene Jayet

Les ateliers de la Morinerie, vus de l'extérieur.©Helene Jayet

Au tout début était une usine de meubles : l’entreprise Doubinski, du nom de trois frères polonais – Hermann, Charles et Albert Doubinski - arrivés en France à la fin des années 1910 pour fuir la persécution faite aux juifs. Ils créent leur première société d’ébénisterie à Montreuil-sous-Bois en 1931. Puis rachètent cet atelier de menuiserie de la rue de la Morinerie au lendemain de la guerre (sans Hermann, mort en déportation). L’entreprise va se développer et compter jusqu’à 800 salariés dans les années 60, avant de décliner peu à peu et se faire racheter par un groupe américain, puis par une compagnie française qui fusionnera avec une autre, etc. En 1990, la société est reprise par Clen, un fabricant de mobilier de bureau dont le siège est situé en forêt de Chinon. Huit ans plus tard, le site de Saint-Pierre-des-Corps est définitivement fermé.

©Helene Jayet

Si l'activité fabrication a périclité, l'entreprise Clen continue de stocker, dans une partie du site de la Morinerie, les fins de série produits en forêt de Chinon. ©Helene Jayet

C’est là qu’intervient Annie Catelas, l’épouse du patron de Clen, Xavier Catelas. Celui-ci demande à sa femme – salariée de l’entreprise – de trouver des locataires pour ces immenses dépôts de la Morinerie désormais désaffectés. L’idée est de transformer le lieu en pépinière d’entreprises afin d’en dégager une rentabilité. Rien de cela ne se passera. Tout le contraire même. La faute à une exposition d’art contemporain au Château de Tours qu’Annie Catelas est venue visiter, en 2006. Elle tombe alors nez à nez sur une des artistes exposées, Lena Nikcevic, une plasticienne originaire du Monténégro arrivée en France quelques années plus tôt. Cette dernière lui explique qu’elle cherche désespérément un lieu pour travailler. "Je te prête un hangar", lui propose Annie Catelas. Et quel hangar :4.500 m2, à elle toute seule !

Arrivée en France il y a 12 ans en provenance du Monténégro, la plasticienne Lena Nikcevic a été la première locataire du site de la Morinerie. Spécialisée dans la gravure de pièces de plexiglas, elle finit d’aménager son nouvel atelier construit autours de murs en paille.     ©Helene Jayet

Arrivée en France il y a 12 ans en provenance du Monténégro, la plasticienne Lena Nikcevic a été la première locataire du site de la Morinerie. Spécialisée dans la gravure de pièces de plexiglas, elle finit d’aménager son nouvel atelier avec des murs en paille. ©Helene Jayet

Passeront quelques mois. "Jusqu’au jour où je me suis dit la chose suivante : et si on faisait de cet endroit un lieu pour accueillir des artistes, plutôt que d’abriter des entreprises, raconte Annie Catelas. J’ai demandé l’autorisation à mon mari, qui me l’a donnée."Le principe de loyers symboliques est adopté : 1 euro le mètre carré, donc. Eau et électricité sont installées dans les bâtiments : ils seront à la charge des locataires. Idem des travaux d’aménagement intérieur – libre à chacun, d’ailleurs, de faire ce qu’il veut, à condition de ne pas transformer les ateliers en habitation permanente. Une première association d’artistes se constitue, le Bled. Puis une deuxième, une troisième… Des cloisons sont montées, des couloirs aménagés. Aujourd’hui une vingtaine de collectifs occupent la place. La superficie des ateliers individuels va de 30 à 350 m2.

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Annie Catelas, la propriétaire du lieu.©Helene Jayet

Ne demandez pas à Annie Catelas de vous détailler le "business modèle" de cette friche de béton et de verre. "Seule la comptable (de l’entreprise) sait" combien il en coûte réellement à Clen, explique-t-elle. "Ce qui est sûr, c’est que c’est à perte pour nous. En même temps, on n’a jamais cherché la moindre rentabilité dans ce projet. On est là pour accueillir des gens, dans un désir de partage et de rencontre", indique Annie Catelas, qui dit également s’intéresser "à l’art sans compétence particulière". Son souhait, à terme, serait que les collectivités reconnaissent le caractère unique de l’endroit et qu’elles participent à son aménagement. Un vœu pieu tant que le lieu ne sera pas équipé pour accueillir du public.

©Helene Jayet

A l'arrière du site : une plaine sauvage qui donne sur la station électrique de la SNCF dite des "Epines fortes".©Helene Jayet

Pour l’heure, Annie Catelas continue son œuvre de mécénat. Toutes les semaines, des artistes du département et d’ailleurs l’appellent pour lui demander s’il y a de la place aux ateliers de la Morinerie. La patronne se réserve le droit d’accepter et de refuser qui elle veut. "Il faut que le courant passe", dit-elle simplement.

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En bonus à cet article : les portraits-photos de cinq artistes ayant élu résidence aux ateliers de la Morinerie.

 

 


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